Marche Sensible OPUS 8 - A la découverte du Leman Express, train d’union entre la France et la Suisse

 

Voir l'image en grand

 Samedi 20 avril 2024

Partir à la découverte du Léman Express pour en comprendre les enjeux et les conditions de réussite.  Tel était l’objectif de cette huitième Marche Sensible, ponctuée de temps d’échanges avec Mathieu Fleury, directeur de Lemanis SA, Vincent Kaufmann, professeur en sociologie à l’EPFL et Frédéric Varone, magistrat à la Cour des comptes de Genève.

Composé de membres des conseils de développement de la métropole grenobloise, du Grésivaudan, du pays voironnais et du pays de Saint Marcelin, le groupe était accompagné par Juliana Gonzalez Villamizar, docteure en sciences humaines et sociales et cheffe de projet SMMAG, ainsi que par Marie-Léa Rousseau, docteure en aménagement-urbanisme au laboratoire MATRiS, CY Cergy Paris Université.

 

Cette Marche Sensible s'inscrit dans les réflexions sur les Mobilités Rêvées de Demain ...à retrouver ici !

 

 

Belle découverte de ce périple et de ses enseignements au travers :

Du podcast, réalisé par Lorine Le Louvier (allias, La Souffleuse)

et du récit de Marie Léa Rousseau, accompagné des dessins d'Alice Raconte et des photos des participants.

 

 

 -------------------

Journal de bord par Marie Léa Rousseau,

auteure d’une thèse sur l’étoile ferroviaire berlinoise

 

« Organisée dans le cadre du Groupe de Travail « Mobilités Rêvées de Demain », ce Léman Express Tour avait pour objectif de découvrir le Réseau Express Régional du Grand Genève afin de nourrir la réflexion conjointe des quatre conseils de développement du grand Grenoble sur les enjeux du déploiement d’un RER métropolitain ».

 « Sitôt le programme réceptionné sur ma boîte de messagerie, je m’empresse de planifier mon déplacement depuis le Pays Voironnais à partir des horaires indiqués : Rendez-vous le samedi 20 avril 2024. Départ de la gare Grenoble à 6H58 et retour à 21H02 ».

 

Le train ne passera pas…

« Premier obstacle : la perspective d’un rabattement en gare à une heure aussi matinale… Gare de Voiron (6h32) ? ...ou gare de Moirans (6h38) ? Si la seconde est la plus proche de mon domicile (10 minutes en voiture), le quartier est complètement désert, une configuration d’autant moins rassurante que l’attente dans le bâtiment de gare est impossible. Ma préférence va donc à la gare de Voiron, située en centre-ville, disposant d’un bâtiment de gare ouvert avec du personnel d’accueil.

Second obstacle : aucun train ne dessert les deux gares après 20h30, auquel s’ajoute le constat qu’aucune ligne de bus ne relie Grenoble à Moirans... Reste la possibilité de revenir par le dernier car TER desservant la gare de Voiron (21h23 – 21h53) ».

Troisième obstacle : la crainte d’un retard qui me fasse manquer cette ultime correspondance.

Soyons honnête : la tentation de prendre ma voiture est forte ».

 

Le report modal... et le choix des gares

« Le petit groupe venant du Pays Voironnais et dont je fais partie s’organise finalement pour covoiturer – en voiture électrique – depuis Réaumont, Rives et Moirans. Malgré un déplacement plus long, il est décidé de monter dans le train à la gare de Grenoble-Universités-Gières, un arbitrage fait par de nombreux participants pour bénéficier du parking-relai gratuit (contre 31,40 euros pour une réservation à la journée au P+R de la gare de Grenoble) ».

 

Puis nous voilà partis... direction Genève-Cornavin en voiture corail !

« A l’arrivée du TER en direction de Genève-Cornavin, nous constatons que le voyage aura lieu à bord de voitures Corail, matériel roulant datant du milieu des années 70.  Si le confort des banquettes permet d’apprécier d’autant plus la beauté du paysage défilant, ces rames comportent plusieurs obstacles pour la montée des voyageurs, à commencer par l’ouverture manuelle des portes, compliquée par la hauteur de l’escalier d’accès. Ces caractéristiques représentent immanquablement un frein pour les personnes à mobilité réduite, les voyageurs accompagnés d’enfants en bas âge, les usagers transportant un vélo ou disposant tout simplement de lourds bagages. Bien qu’il soit autorisé de voyager gratuitement avec son vélo suspendu, rendu possible par la présence de deux emplacements dans notre rame, il semble difficile d’emporter son propre vélo à bord des voitures Corail.  C’est d’autant plus dommage que la ligne ferroviaire longe deux parcs naturels régionaux et plusieurs lacs, traversant des territoires propices au vélotourisme. On peut également regretter qu’aucune annonce officielle ne soit effectuée au micro pour prévenir les voyageurs du passage à la frontière franco-suisse afin d’anticiper la désactivation des données mobiles… Mais nous voilà partis, dans une joyeuse ambiance propice à la découverte collective ! ».

 

Voir l'image en grand

 

 

 

Le Léman Express, un projet urbain autant qu’un réseau ferroviaire…

 

Voir l'image en grand

 

 

« Au terme de 2h00 de trajet, nous voici arrivés à 9h02 précise à la gare de Genève-Cornavin, troisième gare suisse – derrière Zurich et Berne – en termes de trafic quotidien (156 000 voyageurs/jour).

Plaque tournante des transports publics de la ville, Genève-Cornavin constitue le nœud central des six lignes du Léman Express, réseau de 230 km qui dessert 45 gares dans un rayon de 60 km autour de la ville. Nous nous dirigeons d’emblée sur la voie dédiée au Léman Express 1, ligne ferroviaire de 16 km reliant Genève-Cornavin à la gare frontalière d’Annemasse. »

« Également connue sous l’acronyme CEVA (Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse), la ligne a été entièrement construite sur la base d’un traité franco-suisse centenaire (1912), encore valable juridiquement en 2012 sous condition de respecter le tracé initial. Si cette contrainte aurait pu représenter un frein à la concrétisation du projet, elle a été une opportunité pour développer un « second Genève » comme expliqué Mathieu Fleury, directeur de Lemanis SA (filiale commune des CFF et de la SNCF). Ainsi, le Léman Express ne se limite pas à un projet ferroviaire reposant sur un haut de niveau de cadencement et une large amplitude horaire (un train toutes les dix minutes de cinq heures à minuit puis un par heure entre minuit et cinq heures sur la portion Annemasse-Genève) ».

Voir l'image en grand

 

« Au-delà de son rôle d’exploitant ferroviaire, les Chemins de fer fédéraux (CFF) sont à la fois le second propriétaire foncier et la seconde société immobilière en Suisse. La construction de nouvelles gares (Lancy Pont-Rouge, Lancy-Bachet et Genève-Champel) a constitué un fer de lance pour la construction de nouveaux quartiers. La visite de la gare de Genève-Eaux-Vives en présence de Mathieu Fleury, qui décrit les gares comme des « aspirateurs »  a été l’occasion de relever une structure assurant trois fonctions : une fonction intermodale, une fonction commerciale (ex : centre commercial) et une fonction culturelle (ex : Comédie de Genève) ».

Voir l'image en grand

 

« Au cours de la visite de la Gare de Genève-Champel, plusieurs caractéristiques nous ont cependant laissés dubitatifs, à commencer par le fait de ne pas avoir repéré de panneaux nominatifs permettant de vérifier le nom de l’arrêt lors de la descente du train en gare (que l’on doit à l’architecte Jean Nouvel) ».

Voir l'image en grand

 

 

Voir l'image en grand

 

« Construite en sous-terrain, la gare peut procurer une sensation de malaise en raison de sa profondeur, renforcée par la teinte particulièrement sombre des façades. Le manque de convivialité du bâtiment de gare m’a d’autant plus troublée lorsque nous avons atteint le niveau intermédiaire, aménagé à l’heure actuelle d’une unique boutique. On ne relève aucun aménagement qui procure l’envie d’occuper la gare en tant qu’espace de vie (zones de jeux, aménagements culturels, restauration, plantes, etc.). La « froideur » du bâtiment de gare ressort d’autant plus qu’elle contraste avec les aménagements extérieurs, particulièrement accueillants grâce à la présence d’espaces verts ».

Voir l'image en grand

 

« Sur ce point, Mathieu Fleury a volontiers reconnu que l’architecture de ces gares souterraines peut susciter un sentiment d’insécurité chez certains voyageurs, un enjeu majeur selon lui pour convaincre les voyageurs réfractaires à l’usage des transports publics : « si vous voulez gagner le transfert modal, il faut que la sécurité soit assurée, y compris le sentiment de sécurité ». Ceci constitue un point d’autant plus important dans le cas de Genève-Champel que la gare a été construite à proximité des hôpitaux universitaires, faisant du quartier de gare un lieu de passage incontournable à toute heure pour le personnel soignant, les patients et les visiteurs ».

« Pour autant, la construction souterraine des nouvelles gares contribue à la fluidité du trafic ferroviaire indépendamment des circonstances (telles que l’organisation de grands évènements à Genève comme le Salon de l’Automobile par exemple). Or, la fiabilité – y compris le sentiment de fiabilité – du réseau constitue un enjeu majeur pour le report modal. Elément qui constitue un point fort indéniable du Léman Express ».

 

Le défi de l’intermodalité de part et d’autre de la frontière

« Notre visite des gares de la ligne 1 s’achève à Annemasse, gare frontière entre la France et la Suisse, où nous attendent Vincent Kaufmann, professeur en sociologie à l’EPFL et Frédéric Varone, magistrat à la Cour des comptes de Genève ».

Voir l'image en grand

 

Voir l'image en grand

 

« Restructurée en pôle d’échange multimodal (PEM) depuis 2018, la gare n’a « plus rien à voir avec ce qu’elle était auparavant » (dixit un participant habitué des lieux). Constat éclairant : l’office du tourisme – situé Place de la Gare – rebaptisé en « Maison de la Mobilité et du Tourisme ». Depuis une terrasse panoramique située proche de la gare nous avons pu observer l’aménagement du quartier marqué par la volonté d’ancrer le PEM dans un grand projet urbain : la ZAC Etoile ».

Voir l'image en grand

 

« Aussi la gare comprend-elle deux entrées reliées par un passage souterrain, le parvis Nord débouchant sur un futur éco-quartier structuré autour de l’ancienne rotonde ferroviaire ».

Voir l'image en grand

 

 

Voir l'image en grand

 

« L’aménagement du quartier de gare favorise l’usage des modes doux (un parc à vélo sur chaque parvis) sans pour autant dissuader le rabattement en voiture (un parking de 500 places à 200 mètres de la place).

En matière d’intermodalité, les Transports Publics Genevois (Tgp) Express ont su se distinguer par la refonte complète de l’offre de bus, qui leur a valu le prestigieux prix UITP dans la catégorie « Stratégie de transports publics et urbains ». Pour autant, l’audit commun réalisé par les trois Cour des comptes compétentes sur la couverture territoriale du Léman Express – une première en Europe – a tiré un constat cinglant sur l’effectivité des mesures de rabattement. Selon Frédéric Varone, plus de la moitié des 145 mesures évaluées ont au moins 3 ans de retard, aussi bien côté français que côté suisse. Cela représente trois-quarts des investissements sur l’ensemble des coûts infrastructurels des mesures d’accompagnement.  Les trois principaux facteurs explicatifs sont l’opposition des communes concernées (ex : interférence d’une mesure avec un projet déjà en cours), la qualité de la planification (ex : non-respect d’une réglementation en matière de protection de l’environnement) et l’absence d’un cofinancement fédéral (ex : retrait du cofinancement en cas de retard). Un des enjeux majeurs en matière d’intermodalité selon nos trois intervenants réside dans l’absence d’harmonisation tarifaire entre les P+R, une problématique en résonance avec ce que nous avons vécu le matin même : le choix de se rabattre vers la gare de Gières pour bénéficier du parking gratuit ».

Une saturation du réseau qui dépasse la couverture territoriale du Léman Express…

Voir l'image en grand

 

« Une fois la pause de midi terminée, retour à Genève-Cornavin pour entamer la dernière étape de notre périple en Suisse, un aller-retour à Lausanne à bord du RégioExpress 33.  Plus grand nœud ferroviaire de la Suisse romande, la gare de Lausanne accueille actuellement 130 000 voyageurs / jours, chiffre qui devrait monter à 200 000 voyageurs / jour à l’horizon 2030. Au regard de la hausse prévisionnelle des flux, la modernisation de la gare constitue un projet majeur de la convention-cadre Léman 2030 (2009). Or, le développement de la gare est limité non seulement par son bâtiment historique au nord mais aussi par des zones d’habitation au sud. Elle dispose également de quais trop étroits, jugés dangereux pour la sécurité des voyageurs : les quais 4 et 5 mesurent à peine 8 mètres de large, bien en deçà des normes réglementaires fixées par l’OFT (13,5 mètres). Prévue initialement en 2025, la fin du chantier d’agrandissement – visible des deux côtés de la gare – a été repoussé à…2037 ! Un contretemps qui fait craindre que le bâtiment de gare soit inadapté à peine le projet achevé, impactant potentiellement le trafic ferroviaire de l’ensemble de la Suisse romande, au premier rang desquels l’arc lémanique reliant Genève à Lausanne (100 000 voyageurs / jour à l’horizon 2030) ».

 

La problématique de la saturation du Grand Genève dépasse donc largement la couverture territoriale – et l’échelle transfrontalière – du Léman Express.

 

Au-delà de ces considérations techniques, cette dernière étape du voyage d’étude a surtout été l’occasion d’une réflexion collective sur les attentes envers le futur projet grenoblois, temps d’échange voué à se placer du point de vue des usagers.

 

Voir l'image en grand

 

 

Voir l'image en grand

 

« Dans une thèse consacrée à la place du temps de déplacement en tant qu’usage et expérience dans le choix du report modal, Juliana Gonzalez Villamizar a mis en évidence une forte demande d’alternative à la voiture, particulièrement pour la population française du Grand Genève. Si la mise en service du Léman Express a permis de limiter la saturation sur le territoire du Grand Genève, le réseau transporte déjà 30 000 voyageurs de plus qu’initialement prévu (80 000 voyageurs / jour contre 50 000 voyageurs / jour). Les modèles de prévisions ont largement sous-estimé la demande, nécessitant d’adapter prochainement la fréquence (de 10 à 7,5 minutes) ainsi que le matériel roulant (futures rame à deux niveaux)  ».

 

Enseignements pour un projet grenoblois ambitieux 

« Le Léman Express étant en quelque sorte victime de son succès, Vincent Kauffmann encourage les acteurs grenoblois à « imaginer les choses de façon très généreuse en matière d’infrastructure, de capacité d’accueil des gares, de matériel roulant ». Si l’offre est de qualité, la demande sera au rendez-vous, y compris pendant la nuit et les week-end. Pour lui, les clés du succès reposent sur les standards (horaire cadencé, départ sur la même voie, simplicité du système tarifaire, etc.) ainsi que l’amplitude horaire et l’urbanisation autour des gares. Il ressort des discussions collectives au bord du lac Léman et dans le train du retour à Grenoble la nécessité d’un projet de territoire ambitieux, dont le choc d’offre ne saurait se limiter à un cadencement plus élevé de l’offre ferroviaire sans même s’accompagner d’une amplitude horaire élargie. Pour cela, partir des besoins des usagers (mais également des non-usagers) apparaît primordial, avec pour hypothèse que de nombreux usagers potentiels sont des « convaincus empêchés ». Cette réflexion sera au cœur de la future BD qui pourrait, par exemple mettre en scène le quotidien de différents héros de la mobilité se déplaçant autour du Y grenoblois  ».

 

Texte : Marie-Léa Rousseau, docteure en aménagement-urbanisme au laboratoire MATRiS, CY Cergy Paris Université.

Dessins et illustration : Alice Raconte. Photos : Participants

 

Voir l'image en grand

 

 

 Un immense merci à Marie Léa Rousseau pour sa présence et ce rapport d'étonnement, ainsi qu'à Juliana Gonzalez Villamizar, Mathieu Fleury, Vincent Kaufmann, et Frédéric Varone pour les temps de partage et leur disponibilité. 

 

 

Pour aller + loin

 

Lire en ligne la thèse de Juliana Gonzalez Villamizar

Quel avenir pour les projets de "RER métropolitains" ?   Article de Marie Léa Rousseau, paru dans The Conversation, mars 2024

Les premiers pas du RER métropolitain transfrontalier de Strasbourg : enseignements des expériences allemandes et suisses pour un renouveau de services ferroviaires métropolitains en France.  Article paru, en 2023, dans la revue Allemagne d'aujourd'hui, par Marie Léa Rousseau et Laurent Guihery

Site Internet du Léman Express  

Analyse des logiques de choix modal auprès de la population active urbaine. Une étude comparée du Grand Genève, du Canton de Vaud, et des agglomérations de Berne et de Bienne

Découvrir l’enquête sur la manière dont les français envisagent la mobilité en 2050 publiée en décembre 2023 par La Fabrique de la Cité

 

 

 

Voir l'image en grand